Une fille à 200 millions
TENNIS Martina Hingis séduit le public. Mais aussi les sponsors. Phénomène.
BERTRAND MONNARD
Victorieuse dimanche de son premier grand tournoi sur le circuit féminin à Filderstadt, près de Stuttgart, Martina Hingis, 16 ans, s'est retrouvée ensuite devant un dilemme cornélien. Elle a dû choisir entre un chèque de 100 000 francs suisses et une Porsche flambant neuve de la même valeur. En fait, la coquine avait déjà secrètement fait son choix. «Dès que j'ai vu cette voiture au bord des courts, j'en suis tombée amoureuse, je l'ai regardée toute la semaine. Cela m'a encore davantage motivée», disait-elle, petite moue innocente.
Promise à un destin en or, la petite Martina continue donc sa progression linéaire. Tout ce qui avait été prévu semble se réaliser, comme par miracle. Après avoir fait trembler Steffi Graf en demi-finale de l'US Open, elle vient d'entrer dans le fameux «top ten», le clan des dix premières joueuses mondiales. «Tout le monde le dit, le tennis n'a jamais connu un tel talent de cet âge», souligne le journaliste Gérard Bucher. Où qu'elle joue, elle apparaît comme l'attraction numéro un. A l'Open d'Australie en début d'année, la TV nationale a commencé deux fois son 20 heures avec elle. Pendant l'US Open, le prestigieux «New York Times» a consacré une pleine page à la «sensation suisse, destinée à devenir une véritable légende». Martina déplace, enthousiasme les foules. Dimanche, à Filderstadt, on a surpris le public allemand, plutôt réputé pour son chauvinisme, applaudir davantage le petit phénomène suisse qu'Anke Huber, la star locale. Il faut dire que sa révélation arrive au moment pile. Graf trop souvent blessée, la belle Sabatini sur le déclin, le tennis féminin est en mal désespéré de stars. Et Martina a tout pour plaire, souriante, jouant tout en finesse, aux antipodes des trop nombreuses costaudes du circuit.
Un don du ciel. Et pour les sponsors aussi. Comment rêver d'une meilleure image? «Elle a le même rayonnement féminin que Chris Evert, des bijoux, des cosmétiques sont susceptibles, à l'avenir, de s'intéresser à elle. D'ici cinq ans, si tout se passe bien, elle sera, à mon avis, l'une des cinq femmes les plus médiatiques du monde, tous domaines confondus, art, cinéma, mode.» Surnommé Mister Hingis dans le milieu, Damir Keretic est l'homme qui est chargé de la carrière de Martina en matière de marketing. Membre de l'agence McCormack, dont l'«écurie» comprend les plus prestigieux athlètes du sport mondial, il a eu fin nez, il y a cinq ans déjà, lorsqu'il a été le premier à repérer le talent de Hingis et à faire signer un contrat de longue durée aux parents. En garantissant alors un revenu de 200 000 francs quels que soient les résultats de Martina, la firme était perdante. Mais le pari sur l'avenir est en train de se révéler payant. Aujourd'hui, McCormack touche 15% des gains récoltés par Martina en tournoi (776 251 dollars jusqu'ici) et 25% de ses contrats de pub. En plein accord avec les parents, Keretic ne veut pourtant rien précipiter. Les exemples d'autres jeunes stars, grillées trop vite sur l'autel du dieu Dollar, ont servi d'avertissement. Malgré les nombreuses sollicitations, Martina n'a, pour l'heure, en dehors de son équipement de tennis proprement dit, signé que deux contrats de pub, avec Omega et San Pellegrino. A son âge Martina a surtout besoin de bonnes plages de repos entre les tournois, équilibre oblige. Trop d'obligations et de cocktails pourraient se révéler extrêmement dangereux. McCormack en est conscient.
Mais il s'agit, là aussi, d'un simple calcul d'avenir. Qui pourrait empêcher Martina, d'ici deux ou trois ans, de devenir la numéro 1 mondiale, la plus médiatique depuis Steffi Graf, sinon un ras-le-bol trop précoce? Les gains de l'Allemande dépassent aujourd'hui les 200 millions de dollars. De quoi rendre patient. Même McCormack.
B. M.